Où allons-nous ? La question n’importe que si nous allons quelque part ! Nos vies empruntent des chemins, on les suppose poursuivant des buts qui leur donnent un sens. Car s’il n’en est rien, l’existence est absurde. L’enjeu : décider si nos vies sont des aventures insensées, sans projet auquel croire, sans espoir donc. Nous voulons justifier (en les stimulant) les efforts que chacun fournit pour avancer dans un monde mouvant.
Progresser, c’est avancer, ce qui peut s’entendre de deux façons.
La première est indéniable : science et technique changent le monde en avançant dans tous les sens, si inéluctablement qu’on suppose que ‘’tout ce qui est possible sera nécessairement fait’’.
La seconde est plus ambiguë, prétentieuse même : il s’agit de supposer que nous poursuivons une fin morale, qu’avancer c’est ‘’bien’’, et que régresser ou stagner c’est maaal !
L’histoire, suite d’évènement continuant un processus, est en marche : vers quoi ?
Les faits se suivent s’enchaînent comme s’il y avait un destin, donc l’histoire a un sens -mais qui nous racontera la suite, ou la fin de notre histoire ?
Le progrès se constate aisément, mais est-ce celui d’une mécanique insensée, soumise seulement à la force des choses ?
Guettés, menacés par la perte de sens, nous sommes navrés que science et morale n’aillent pas de pair. S’il y avait un progrès moral, il n’y aurait plus de torture, de viol, de génocides, de violences. L’histoire nous raconte comment de biens belles civilisations ont connu la fin de leur histoire. Leur écroulement est édifiant : il y a eu, il y a et il y aura des crises, des régressions, des retours à la misère, à la barbarie, et ces violences qui resurgissent inopinément interdisent de supposer que notre progrès est assuré : chaque pas risque la chute.
On a beau s’efforcer de construire, cheminer vers l’accomplissement d’un projet résolu, le moindre accident nous détournera de notre objectif.
Le bonheur est dans le pré : cours-y viiite ! Trop tard : le voilà traversé ou contourné, loin derrière, raté, révolu, perdu ! Tant d’efforts lui ont été consacrés en vain !? On s’y consacre, on le poursuit, et le voilà qui, tel une anguille, nous échappe encore et encore : à quoi bon s’acharner à comprendre, saisir ce qui nous glisse des mains ?
Trois progrès sont à distinguer : celui du marcheur se rapprochant de son objectif, celui de l’esprit du marcheur, évoluant à chaque nouveau pas et s’adaptant à son projet en cours, et le progrès du monde (on l’oublie trop facilement, ce réel qu’on perd en l’idéalisant : oui le monde change, et ça change tout). C’est déjà trop complexe pour notre marcheur devant à la fois se mouvoir et s’en donner les raisons, quand la raison même est en mouvement. Le plus simple est de se soumettre à un devoir, s’ordonner d’avancer, sans raison vérifiable : le marcheur avance à coups de bâtons, se courbe, chute parfois, se relève et stoïquement sourit, prétendant que ses chutes lui apprennent à marcher !
On rêve alors d’immobilisme, pour se reposer de toutes ces douloureuses gesticulations. Rien de plus stable que l’objet fixe, et rien de plus déséquilibré que le mouvement -surtout quand on n’a pas saisi le sens de la marche ! « L’unijambiste ne marche jamais au pas de l’oie, pas plus que le manchot ne fait le salut fasciste ». C’est un proverbe Suisse.